ANIQUIRONE
I
Et
je vais cherchant les voix du chemin
pour
les traduire
assurément
elles porteront ton nom
j’ai
appris à interpréter la voix du vent
celle-là
même qui berce les feuilles entrouvertes
de
ton arbre.
Aniquirone,
Aniquirone !
le
fleuve t’appelle
et
dans les gouttes frénétiques de l’air
ton
s’en va souffle accroché aux girouettes.
Dans
la corbeille de mes mains
arrive
impétueux le soleil
avec
l’or et le blé de ton sommet
dois-je
monter vers le commencement du langage ?
Là
les mouettes racontent
les
jours difficiles du ciel
le
transbordement mystérieux des nuages
dois-je
traduire la langue musicale des oiseaux moqueurs et des merles
pour
te connaître ?
voici
que tu me questionnes
femme
aux longs rêves
et
aux inexplicables transes
quel
est le pays vers lequel tu m’invites ?
A
peine sais-je comment tu t’appelles
Le
fleuve me l’a conté
et
je sais que Aniquirone
est
le seuil des autres chemins.
II
Chaque
fois que je me rapproche de Schuaima
la
mort possède la voix
de
multiples oiseaux
l’air
bleu voltige de fibre en fibre
tandis
que les pierres
jouent
à prononcer ses mots peu communs
et
les feuilles savent d’avance
que
je suis nouveau venu en ce lieu.
Aniquirone
il
y a un « je » qui m’arrête
qui
s’applique au retour.
Parfois
je pense
que
cet habitant
jeune
parmi
les vieux
aime
les mêmes choses
la
porte obscure des possibilités
le
fameux hasard des sollicitations.
Où
vont toutes ces voix
qui
me conduisent à ton règne ?
Je
suis
les feuilles qui volent empressés en tout sens
je
suis la pluie et sa musique humide
je
suis
les oiseaux et leurs ondulations
il
y a une similitude entre le langage des arbres
et
le mien.
C’est
seulement ainsi que je peux me rapprocher
seulement
ainsi que je sais que j’existe
et
que le chemin n’est pas chemin
sinon
qu’il va chargé de mots et de voix.
Je
suis à Schuaima
je
suis arrivé avec la brise
seul
son silence musical me satisfait
Aniquirone
:
nous
parlons
de poésie !
III
Aniquirone
quand
je descends les escaliers de la maison
je
pense que c’est une autre manière d’arriver à Schuaima
-
le règne du grand lointain -
Il
se peut que descendre
soit
une autre forme d’ascension.
Là
de
l’autre côté de ce jour
attend
le train qui doit nous transporter.
Il
pleut,
il
pleut
minutes
la
route opposée,
va
le chemin
contrecoup
à ce craquement de paysages.
A
la fenêtre
le
pont d’arbres
une
porte
un
arbre d’oiseaux bleus
la
rivière d’escargots
tout
s’agglutine autour de nous
seul
le train va par le chemin
et
avec lui
le
chant distant des rails
la
musique de la rue
la
voix continuelle de la pluie
une
lumière lointaine qui m’appelle.
Silence,
silence !
Je
m’en vais accroché au vent
je
flotte
et
je me rend compte
que
la mort est musique
et
qu’il faut l’écouter la mort
avec
les oreilles alertes.
LES OiSEAUX
Des
oiseaux il y en a à Schuaima
comme
les sapins en Chine
ou
les orientaux mystiques sur les berges du Nil.
Oiseaux
parés de lumière :
fauvettes,
navires, idiots, goélettes,
routes,
serpentaires, piquiers à pattes bleues.
Les
oiseaux de cette Terra
connaissent
les violettes de Parme, les taons de l’est,
les
arborescences du Mississippi;
mondes
possibles dans le crépitement de leurs ailes pluvieuses;
oiseaux
qui paraissent être nuages d’arbres et de blé
remontant
leur vol
par
forêts de myrtes y dindes balsamiques.
Ceux-ci
,
les
voyageurs de cet océan nu
les
oiseaux que rêvera la Douce Aniquirone
dans
sa chanson en mémoire de la forêt.
Oiseaux
de Schuaima
pourvus
d’ailes, de lumière et de jungles
dites-moi
:
qu’est-ce
qui gravite autour des autres plages ?
LES FLEUVES
Comme
un volcan sa chanson de feu
comme
une colline de neige rouge,
ainsi
vit Schuaima peuplé de fleuves.
Fleuves
qui descendent par les plaines
comme
des filles nues
avec
des tresses d’eau dans leurs bouches.
Le
fleuve le plus grand de Schuaima
s’appelle
Calixthe.
Il
remplit la lune
la
voit
descendre endormie
par
les pierres et les campanules de la vallée.
L’écume
avec son rire blanc l’appelle
Calixthe,
Calixthe !
gravite
le fleuve avec ses plumes d’eau
parce
que le vent baise sa mort
et
son ronflement de dromadaire.
Là
est-il
flottant
dans une mer de fleuves Schuaima
innombrables
volcans parlant de l’eau :
Paris
en forme de lac,
Rogitama
un ruisseau de poissons,
Calixthe
et ses visages d’argent
vidant
ses yeux
dans
des amphores de poissons.
Comme
un miroir avec face d’homme
comme
un penseur de Rodin sur la flaque d’eau
gît
Schuaima peuplé de fleuves.
Là-bas
vont les hommes moribonds
pour
laisser
leurs souvenirs et leurs visages.
Celui-ci
est l’arc de l’oubli
le
fleuve dans lequel la mémoire descend
entre
les collines de rêves
et
l’homme s’en va en dormant
tandis
que l’eau lui baisse les paupières.
L'EXIL D'EVE
Quelle
est belle Eve
Qu’il
est beau le serpent qui l’entoure
l’arbre
qui croit en elle
le
fruit charnel que déploient ses lèvres
quand
elle les pose sur l’ocarina
sa
musique aux abords du bois.
Quelle
est belle sa chevelure
-
plumes obscures qui tombent sur ses épaules parfumées -
son
nez qui respire d’autres mondes
et
crée
pour tant de labyrinthes
la
fleur d’oranger et les guirlandes qui les remplacent.
Quelle
est belle Eve
quelles
sont belles ses chevilles
les
empreintes qu'elle dessine sur le sable
pour
marquer le chemin vers la lumière et vers les ombres.
Qu’ils
sont beaux les fils que le monde lui a donnés
beau
le fleuve qui descend par les collines de son ventre
beau
le volcan de ses yeux de feu.
Qu’elle
est belle cette côte pensante
cette
poussière sacrée
ce
roseau aromatique
qui
garde dans ses poumons parfumées
une
autre pomme pour les saisons de pluie.
LAZARE
A
Jader Rivera Monje.
Maintenant
que je suis tant de choses en même temps
maintenant
que j’asume mes vies passées
et
les lance à la chair ou à la boue
pour
qu’elles deviennent des poèmes
ou
de petites feuilles qui s’opposent
à
l’air ridé du Zaïre
On
m’appelle Lazare.
Je
suis Lazare
le
fils de Béthanie
le
frère de
Marthe et de Marie
j’ai
connu la mort
son
fleuve de roses, de glaïeuls, de violettes, de myrtes et lierres
que
j’ai transité, navigué et respiré
durant
les quatre jours que dure
cette
odyssée par le monde fascinant des ombres.
Je
suis Lazare
J’ai
soixante-dix noms
musique,
vent, oiseau, boeuf, pluie
sont
certains de ces noms
je
crois en la resurrection
en
la survie
en
le souffle chaud qui se propage
au-delà
de ces tribus.
Je
me suis levé de la boue neuf fois
et
maintenant
je
suis la poussière qui ne retournera pas à la poussière.
Mes
mains et pieds
Ont
encore leur aspect d’enterrement
mais
aussi il est certain
que
sous mon corps croit l’herbe
qu’entourent
le vers de terre, le mille-pattes, les calambrines odorantes,
la
mouette qui remonte son vol
à
la recherche d’autres courants
d’air.
Je
suis Lazare
habitant
de Béthanie
ami
des synagogues
de
Canaan, de Capharnaüm, de Nazareth, de Galilée
et
d’autres terres lointaines
dont
les noms ne se comprendraient pas.
J’ai
le visage couvert d’une
étoffe
mais
chaque fois que je m’ouvre à la vie
chaque
fois qu’un papillon
me
rappelle que je suis né de nouveau
l’étoffe
cède passage
à
d’autres étoiles, à d’autres lumières, à de nouvelles espèces
animales,
à
d’autres chemins.
Je
suis Lazare
et
en ce voyage vers la fin de la vie
je
m’assierai sur une autre roche
à
filer le cordon sacré
le
morceau de fleuve
qui
me rendra
à un autre courant
où
toutes les voix clament,
où
toutes les musiques chantent,
où
toutes les pluies disent :
“ Lazare,
lève-toi ! ”
Traductions
de Marcel Kemadjou Njanke.